[…] O que as pessoas conhecem é o seu quotidiano. É o único nível de poder, se assim se pode dizer, em que se deve situar este combate. A escola, a saúde, a falsa moral, as lutas sem glória que hoje em dia desaparecem por detrás das palavras de ordem sumárias e mistificadoras – grita-se, por exemplo : «Abaixo o Governo!» como se a sua queda fosse a chave de todos os problemas –, as questões económicas do quotidiano, as actividades ditas «culturais», os problemas do urbanismo, dos jovens, dos velhos, as relações entre os sexos, tudo isto deve ser retomado e integrado numa autêntica perspectiva de «esquerda», quer dizer, com toda a transparência, articulando as coisas umas com as outras de uma maneira exigente, obrigando as pessoas a reflectir, a descobrir os responsáveis da desorientação actual e os aproveitadores desta «falta de esperança».


Cinco anos depois do 25 de Abril, o verdadeiro, não o mítico, a experiência vivida pelo povo português é suficientemente rica para tentar restabelecer o controle. Enquanto o «meio político» se confronta com a antecipação ou não das eleições legislativas e presidenciais, com a legitimidade ou não de um referendo, com projectos de revisão da Constituição, com tácticas de aliança ou de oposição, a favor ou contra tal ou tal partido, é possível combater os próprios fundamentos deste «sistema», fazer subversão sem concessões, quer dizer, não poupando pudicamente os partidos ditos de esquerda. Em resumo, é preciso reconstruir um novo um pensamento político de esquerda. É unicamente desta maneira que o 25 de Abril não será uma simples comemoração, não se tornará uma data qualquer marcada num calendário. 


[…] Pela minha parte, presto ao 25 de Abril a homenagem de pensar e de acreditar que continua vivo nas profundezas onde é necessário ir buscá-lo, munido com as armas que ele-próprio forjou : a imaginação, o espírito de libertação, a capacidade de afrontar as realidades, para que o nosso destino não nos escape uma vez mais.


Les mythologies portugaises

Libération, 25 avril 1979

 

Ancien responsable de l’industrie, pendant la période révolutionnaire, João Martins Pereira, s’en prend dans cet article aux mythologies de gauche et de droite, qui selon lui caractérisent la situation portugaise. Et part en guerre contre les unes et les autres. L’espoir est à ce prix.

 

La composition de la commission officielle chargée d’établir le programme des festivités pour la commémoration du cinquième anniversaire du 25 Avril  donne une idée de ce que l’on peut attendre de cet événement: une simple date, vidée de contenu, de tout sens politique, une institution. Côté à côté, le major Vasco Lourenço, un des capitaines d’Avril, et Proença de Carvalho, ministre de la Communication sociale, avocat des grands patrons “spoliés par la révolution” et assez largement suspecté d’être entré au gouvernement pour obtenir une concession de jeu destinée à un groupe hôtelier, dont il fût le P.D.G. jusqu’à sa nomination ministérielle.

Déjà pendant l’été 75, les deux hommes étaient déjà rassemblés contre “les excès de la Révolution”, contre “la dictature du Parti communiste”, incarnés selon eux par le gouvernement de Vasco Gonçalves. Proença de Carvalho n’a pas changé: il poursuit toujours sa croisade anticommuniste dans le secteur de l’information statisée, c’est-à-dire, la radio, la télévision et la presse, en faisant taire tout ce qui pourrait susbsister de voix de gauche, et Proença de Carvalho a une conception très large de la gauche.

Vasco Lourenço, comme tous les capitaines d’Avril, est devenu une sorte de mythe vivant. Et à ce titre, avec ses amis du groupe Melo Antunes, il est considéré comme l’un des principaux remparts de la gauche au sein du non moins mythique Conseil de la révolution, qui doit faire face inlassablement aux attaques de la droite portugaise.

Plus que des idéologies, ce sont des mythologies qui s’affrontent au Portugal. C’est en effet autour de mythes que la droite, aussi divisée et impuissante que la gauche, cherche comme elle d’ailleurs, à se rassembler autour de mythes, qui jusqu’ici l’ont empêché “d’apprendre le capitalisme”. Ce penchant irréssitible à fuire les réalités est sans doute l’héritage le plus lourd de conséquences que nous ait légué le fascisme.

On se bat pour ou contre la constitution, pour ou contre les nationalisations, pour ou contre la Réforme agraire, pour ou contre le Conseil de la révolution. La gauche est pour par principe, et la droite contre. Egalement par principe.

A gauche, on ne cesse par exemple d’évoquer une “majorité de gauche” pourtant impossible. Certes, elle existe sur le papier, en additionnant les députés socialistes et communistes. Mais chacun sait bien que le rapport réel des forces ne permettrait pas à un gouvernement, s’appuyant sur telle majorité, d’exercer le pouvoir. Chacun sait encore que le PS lorsqu’il a été au gouvernement, a fait une politique de droite, s’est appuyé exclusivement sur des alliances de droite de base, et a donné une telle image d’opportunisme, d’arrivisme, de corruption qu’elle a très défavorablement marqué la gauche portugaise, du moins si l’on persiste à ranger le PS à gauche.

Le Parti communiste portugais? Personne n’a oublié ses campagnes contre la Constituante en 1975, son opposition systématique aux initiatives populaires de base, dont les fameuses “commissions de travailleurs” et “le contrôle ouvrier” dont il fait aujourd’hui “l’une des grandes conquêtes de la Révolution”, son sectarisme borné, son incroyable capacité d’ ”appropriation” et de “manipulation” qui lui permet d’identifier la lutte contre la réforme agraire avec l’anticommunisme.

Cette “gauche” qui est apparemment plus unie que la droite, n’est plus qu’un faux semblant tactique qui mine une aspiration au pouvoir en essayant de tromper tout le monde. Elle échoue dans cette entreprise comme dans les autres.

 

Une bourgeoisie revancharde

 

La droite, quant à elle, n’est pas non plus l’expression d’une bourgeosie déterminé, et sachant exactement ce qu’elle veut. Jusqu’à présent, elle n’a exercé le pouvoir que par personne interposée. D’abord par l’intermédiaire du PS, puis avec un gouvernement d’ “indépendants”. Il faut dire que cette bourgeoisie diverge par tous les bouts. Les anciens grands patrons de l’industrie et de la finance, d’un côté, ont perdu leur pouvoir économique, de l’autre, les petites et moyennes entreprises, habituées au protectionnisme et au paternalisme fasciste, parlent de “la libre entreprise” sans savoir en fait ce que cela veut dire. Mais aussi les anciens propriétaires fonciers, qui ne possèdent plus des “réserves” de terres, et doivent côtoyer des fermes collectives qu’ils rêvent d’écraser un jour ou l’autre. Enfin les grands spéculateurs de l’immobilier paralysés par une demande qui va s’affaiblissant – les loyers lucratifs n’existant preseque plus. Seuls des mythes et un sentiment commun de revanche peuvent rassembler ces forces disparates.

Naturellement, ils sont tous contre “les communistes”, la Constitution, les nationalisations. Ils sont tous pour l’initiative privée, pour l’intégration dans la CEE, les indemnisations aux “expropriés”, la libération de la législation sur les licenciements, etc. Mais ils ne parviennent pour autant à se reconnaître dans le système des partis, ils ne parviennent pas à concevoir ce que représente un “jeu démocratique”, ni même, en réalité, “le libre jeu du marché”. Mais surtout, ils n’arrivent pas à dépasser une idéologie petite bourgeoisie de l’ordre, de la famille, de la patrie. Ils défendent une “morale” archaïque sans vraiment savoir comment se coltiner la question du “pouvoir”.

 

Le risque de bonapartisme

 

C’est assez dire les risques immenses qui se profilent à l’horizon. Il n’est pas nécessaire d’avoir lu Gramsci pour comprendre que cette situation porte en germe un quelconque bonapartisme.

Et pourtant! Ce moment plus que d’autres est propice à affronter la réalité sans complexe. La condition de l’espoir passe par une démythification générale, sinon un petit Bonaparte viendra en offrir à bon marché à une population qui aspire très profondément à sortir de ce marasme. C’est la tâche urgente. Malheureusement les partis de gauche ne sont pas en mesure de faire face à cette situation, ils n’entendent d’ailleurs même pas ce langage. Ils sont incapables de comprendre que les grandes masses se moquent ouvertement du jeu des partis.

Ce que les gens connaissent, c’est leur quotidien. C’est le seul niveau de pouvoir, si l’on peut dire, où doit se situer ce combat.

L’école, la santé, la fausse morale, les luttes sans gloire qui disparaissent aujourd’hui derrière les mots d’ordre sommaires et mystificateurs – on crie par exemple: “A bas le gouvernement!” comme si sa chute étatit la clé de tous les problèmes – les questions économiques du quotidien, les activités dites “culturelles”, les problèmes de l’urbanisme, des jeunes, des vieux, les rapports entre les sexes, tout cela doit être repris et intégré dans une authentique perspective de “gauche”, c’est-à-dire en toute transparence, en articulant les choses les unes aux autres d’une manière exigeante, en obligeant les gens à réfléchir, à découvrir les responsables du désarroi actuel et les profiteurs de ce “manque d’espoir”.

 

Des racines vivantes

 

Cinq ans après le 25 Avril, le vrai, pas le mythique, l’expérience vécue par le peuple portugais est suffisamment riche pour tenter cette reprise en main. Pensant que “le milieu politique” se débat entre l’anticipation ou non des élections législatives et présidentielles, entre la légitimité ou non d’un référendum, entre des projets de révision de la constitution, entre les tactiques d’alliance ou d’opposition avec ou contre tel ou tel parti, il est possible de s’attaquer aux fondements mêmes de ce “système”, de faire de la subversion sans concessions, c’est-à-dire en n’épargnant pas pudiquement les partis dits de gauche. En un mot il faut reconstruire de toutes pièces une pensée politique de gauche. C’est seulement de cette manière que le 25 Avril ne serait pas une simple commémoration, ne deviendrait pas une case indifférente dans un calendrier.

Le 25 Avril 1979 est là. J’écris quelques jours avant la date et je vois déjà  le défilé militaire, la séance à l’Assemblée nationale, le discours très attendu du président de la République, mais aussi les milliers de petites fêtes populaires, de réunions, de dîners d’amis, d’anciens membres de comités de quartier, de commissions de travailleurs ou de soldats, où l’on reparlera des années exaltantes 74-75, comme si tout cela était définitivement mort.

Les quelques journalistes étrangers qui, presque par rituel, se déplacent encore au Portugal, n’auront aucune difficulté à écrire des articles dans ce style funéraire, et nostalgique, eux qui parfois ont activement participé à cet élan révolutionnaire. Ils s’interrogent tout au plus sur le comment de cette situation, sur les raisons pour lesquelles ce peuple dont les vertus d’imagination et de libération ont été répandues de par le monde, a pu sombrer dans cette sorte d’hommage aux défunts. A moins s’ils restent jusqu’au 1er mai, que les travailleurs portugais s’énivrent une nouvelle fois de lendemains qui ne chanteront pas, dans un coude à coude ému qui ne durera que le temps d’une manifestation.

Pour ma part, je rends au 25 Avril l’hommage de penser et de croire qu’il est toujours vivant dans les profondeurs où il faut aller le rechercher muni des armes qu’il a lui-même forgées: l’imagination, l’esprit de libération, la capacité d’affronter les réalités, afin que notre destin ne nous échappe pas une nouvelle fois.

João MARTINS PEREIRA

Martins Pereira, ingénieur, fut secrétaire d’Etat à l’industrie dans un gouvernement de Vasco Gonçalves qui succéda aux evénements du 11 mars 1975. Foncièrement apartidaire, il créa avec d’autres journalistes, l’hebdomadaire Gazeta qui cessa de paraître après une année d’existence par suite de difficultés financières. Auteur de plusieurs livres d’analyses économiques, l’un de ses ouvrages consacré au processus portugais: “O socialismo, a transição e o caso português” est actuellement en cours de traduction, et devrait paraître en France.